Auteur : Paul Auster
C’est un livre qui raconte l’histoire d’un livre, dans lequel on y retrouve des livres, quantité de livres.
C’est l’histoire de l’Amérique des années 50 et 60, vu à travers les yeux de l’un de ses enfants, car c’est encore le champ des possible qui s’ouvre alors.
Elle avait seize ans, bientôt dix-sept. Le tableau blanc n’était plus complètement vide mais elle était assez jeune pour savoir qu’elle pouvait encore effacer les mots qu’elle y avait écrits, les effacer et repartir à zéro si l’envie lui en prenait.
4.3.2.1 – p 205
C’est l’histoire de New-York et de sa banlieue dans les années 50 et surtout 60, ses quartiers, ses luttes sociales, ses tensions raciales entre noirs, juifs, blanc, ses centres universitaires (Columbia, Princeton, Brooklyn)…
une blague juive sur l’Amérique et l’énorme statue qui se dresse dans le port de New York.
4.3.2.1 – p 1203
C’est l’histoire d’un personnage qui va devenir 4 personnages, dans laquelle, chacun partant du même point, suivra sa propre voie explorant ainsi l champ des possible offert par la grosse pomme à cette époque.
Un partie des personnages évoluera ainsi différemment selon les chemins pris par le personnage principal, ou bien lui même bifurquera selon les chemins pris par ces personnages secondaires.
Toutes les passions de l’Amérique sont là : la voiture, le basket, le base-ball, le sexe, l’ascension sociale – ou la chute – et dans une vision plus politique, les tensions & émeutes raciales, sociales, la violence (policière, déjà). Cela m’a rappelé l’Histoire Populaire de l’Empire Américain, dont ce livre pourrait être la version romancée.
Tout est parfaitement solide pendant un temps puis un matin le soleil se lève et le monde se met à fondre.
4.3.2.1 – p 169
[…) Ferguson et ses amis avaient compris qu’ils vivaient dans un monde irrationnel, un pays qui assassinait ses présidents, qui légiférait contre ses citoyens et envoyait se jeunesse se faire tuer dans des guerres absurdes…
4.3.2.1 – p 730
C’est évidemment dense, bien écrit, surprenant, parfois un peu long (les livres dans les livres), parfois agaçant (un peu nombriliste), mais la dramaturgie des histoires, la construction même du Roman (avec un grand R) sont tellement captivantes qu’il est difficile à lâcher.
Auster se permet même de jouer avec son lecteur, en l’interpellant, en lui annonçant au détour d’un paragraphe que le Ferguson que nous sommes en train de suivre, n’a plus que quelques jours à vivre,
Par bonheur il n’était pas au courant du plan cruel que les dieux avaient prévu pour lui. Par bonheur il ne savait pas que sa vie était destinée à occuper un paragraphe aussi court dans Le livre de la vie terrestre e il continua donc à vivre comme s’il avait des milliers de lendemains devant lui et non trois cent quatre seulement.
4.3.2.1 – p 960
ou bien de synthétiser en tête de chapitre les éléments clés qui vont le constituer.
1969 fut l’année des sept énigmes, des huit bombes, des quatorze refus, des deux fractures, du nombre 263 et de la blague qui change une vie.
4.2.2.1 – p 1182
On sent bien qu’il a pris à immense plaisir à réaliser cet ouvrage, qu’il s’est pris au jeu, pris à ses personnages (des doubles romanesques de lui même), sans doute est-il parti quelques fois sur des pistes sans fin, mais aussi qu’il a réussi à garder cette posture de démiurge, nécessaire à l’écrivain de talent pour qu’il garde le contrôle de sa création.
Du haut de leur montagne, les dieux jetèrent un coup d’œil puis haussèrent les épaules.
4.3.2.1 – p 991 (après la mort de Ferguson 3)
Aussi je ne serai pas étonné que ce le paragraphe qui suit concerne en fait une analyse de son travail pendant la rédaction de cet ouvrage !
[…] pour faire ce qu’il fallait il était nécessaire de faire preuve d’une concentration absolue et même temps que d’une ouverture d’esprit qu’on ne trouvait que chez les musiciens de jazz.
4.3.2.1 – p 913
Le poème d’Apollinaire, traduit par Ferguson, propose une belle définition de ce qu’est le Roman selon Auster. Le seul art à même de décrire ce qu’est la vie.
et cette dernière citation (plus j’aime plus je cite dirait on), résume bien à mes yeux la qualité d’écrivain de Paul Auster, c’est fin, c’est juste, et c’est très bien traduit.
Le 8 septembre. L’été était fini et bien fini. Les gamins criaient de nouveau tôt le matin […] et en une nuit, l’air de Rochester avait acquis ce goût piquant de début d’année scolaire avec ses crayons aiguisés et ses chaussures neuves un peu raides, le parfum de l’enfance…