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Petit traité de manipulation

Auteurs : Robert-Vincent Joule & Jean-Léon Beauvois

Comme la suite de son titre l’indique, ce traité est « à l’usage des honnêtes gens ». Effectivement il pourrait y avoir ambiguïté tant les comportements qu’il dévoilent sont communs, souvent intériorisés et donc difficilement opposables. Ce trait d’humour est aussi une constante de l’ouvrage qui pour rester à la portée d’un maximum de personnes est émaillé de jeux de mot, souvent reportés dans les notes de bas de page, ce qui, je trouve, alourdi la lecture.

Pour ce qui concerne le fond, les auteurs balayent les principaux modes de manipulation en exposant d’un côté comment ils sont présent dans notre quotidien et de l’autre comment ils ont été mis en lumière scientifiquement. Cela m’a évidemment fait penser à un classique de la vente et du marketing de Robert Cialdini que j’ai lu il y a deux ans et aussi la BD Manipulator qui s’inspire d’ailleurs pas mal de ce traité.

La comparaison entre les deux est de mon point de vue plutôt à l’avantage de l’auteur américain qui à l’avantage d’être plus direct en ne s’encombrant pas d’artifices (l’humour) pour faire passer efficacement et pédagogiquement son message.

Néanmoins l’ouvrage est très clair et met en lumière de nombreux comportement qui facilitent la manipulation :

  • L’effet de gel tout d’abord, qui nous lie a une décision que nous avons prise (à bon ou mauvais escient). Une fois décidé, nous sommes en quelque sorte prisonnier d’elle et nous ferons tout notre possible pour la rationaliser !
  • L’amorçage, où l’on ne divulgue qu’une partie de la vérité afin d’obtenir un « oui », puis une fois celui-ci obtenu, on peut donner le reste de l’information (généralement moins attrayant).
  • Le leurre qui s’appuie sur la persévération de la décision. L’exemple d’un produit soldé en vitrine nous donne envie de l’acheter (=> effet de gel) et même si le produit soldé n’est plus disponible, nous acceptons malgré tout d’acheter un autre produit, assez proche… mais bien plus cher.
  • Le sentiment de liberté, où l’on voit que les stratégies de forte menace ou de forte récompense constituent des facteurs de désengagement (à l’inverse du comportement recherché), là ou le sentiment de liberté va plutôt engager. Ce sentiment est lié à la notion d’engagement qui repose sur le caractère public de l’acte, son caractère coûteux et irrevocable et enfin sa répétition. Autrement dit, l’individu ne pourra pas nier son acte, il en sera personnellement responsable, il s’y reconnait, il ne pourra trouver de raison en cet acte en dehors de lui même.
    On pourra aussi parler de soumission librement consentie.

Et les différentes stratégies qui exploitent nos failles sont aussi décrites, tout d’abord celles qui nous mettent dans un contexte émotionnel ou cognitif dans lequel la requête pourra être formulé avec un maximum de possibilité de succès :

  • Le pied dans la porte : on extorque au sujet un comportement non problématique et peu coûteux (en usant de son libre choix). Une fois ce comportement obtenu, une requête sur une requête plus coûteuse est adressée explicitement au sujet.
  • La porte au nez : formuler une requête trop important pour qu’elle soit acceptée, avant de formuler la requête qui porte sur le comportement attendu.
  • La technique du toucher qui consiste simplement à toucher le bras de l’interlocuteur.
  • Le pied dans la bouche qui consiste simplement à faire précéder sa requête d’une formule de politesse assez banale, du genre « comment allez vous aujourd’hui ? ».
  • Le technique de la crainte puis soulagement, massivement utilisée par la police (le good cop & bad cop).
  • L’étiquetage qui consiste à apporter une explication interne à un comportement (propre à la personne, à ses intentions ou ses motivations), d’autant plus efficace si l’explication en appelle à la personnalité du sujet, une bonne capacité, une motivation. L’étiquetage vise à favoriser de manière implicite le lien entre ce qu’est la ‘victime’ et ce qu’elle fait.

La formulation de la requête est elle aussi important et elles augmentent encore les chances de succès :

  • Le « mais vous êtes libre de » qui joue évidemment sur le sentiment de liberté.
  • Le « un peu c’est mieux que rien » consiste à faire savoir qu’un engagement ridiculement fable (une toute petite somme d’argent par exemple) satisfera quand même le demandeur. Des variantes sont largement utilisées sur internet : « les contributions les plus basses que nous ayons reçues sont de 1€ ».
  • Le « ce n’est pas tout » qui est commune aux camelots des marchés, ou aux Pompes funèbres… On propose un produit à un prix prohibitifs et pour le faire passer on ajoute des services de peu de valeur autour.

Pour conclure, 3 points importants pour éviter de se faire soi-même manipuler :

  • Apprendre à revenir sur sa décision, ce qui est difficile (cf. l’effet de gel).
  • Savoir considérer que deux décisions successives doivent être indépendantes.
  • Ne pas surestimer sa liberté.

Note : 3.5 sur 5.

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